Les préoccupations croissantes sur les questions d'environnement nous amènent tous à nous repositionner comme acteur prestataire ou consommateur dans le phénomène du tourisme. Il nous semble légitime en tant qu'habitant de Lisbonne de faire une introspection et de proposer une réflexion sur notre propre activité qui nous fait vivre ainsi qu'une grande partie de la population lisboète. A l'heure où l'Europe fait de l'environnement une priorité nous allons voir quelles ont été les effets donnant suite au prêt de 78 milliards d'euros octroyé par le FMI au Portugal en 2011. Nous proposons ainsi une rétrospective des dix dernières années de changement dans cette ville de Lisbonne que nous avons choisie car nous l'avons jadis aimé et que nous tentons de protéger aujourd'hui. 

L’essor économique du Portugal, diminution des habitants du centre-ville.

Deux constats s'imposent. Tout d’abord l'économie portugaise s'améliore. Après plusieurs années consécutives de croissances négatives, le Portugal connait une croissance actuelle de l'ordre de 2% du PIB. Certains s'aventurent à parler du « miracle portugais », ce qui vaut la réélection du gouvernement socialiste actuel. Il est à souligner que 70% de l'économie portugaise s'articule autour du tertiaire représentée essentiellement par le tourisme. L'économie touristique à Lisbonne a permis à de nombreux portugais de trouver du travail. Le chômage est descendu de 17% à 9% en moins d'une décennie. Les chiffres sont cependant à relativiser étant donné qu’une fuite massive devant la hausse du coût de la vie de plus de 600 000 jeunes portugais qualifiés depuis 2011, réduisant ainsi drastiquement les chiffres du chômage. 

D'un autre côté, la ville de Lisbonne longtemps réputée pour la qualité de son air, balayée par les vents atlantiques, est devenue la 6ème ville la plus polluée d'Europe. A l'heure où l'on parle de plus en plus de réchauffement climatique et sachant que l'industrie touristique est la plus importante du monde nous nous sommes posés la question de l'impact du tourisme sur l'environnement à Lisbonne et sur la possibilité de l'émergence d'un tourisme durable, mettant en valeur l'environnement de la ville. 

L’environnement spécifique de Lisbonne

Nous prenons la notion l'environnement dans son sens large. En l’appliquant à la ville de Lisbonne, nous n'englobons pas seulement l'idée de la qualité de l'air, de l'eau, des déchets ou de sa biodiversité mais nous entendons l’élargir à son univers sonore, à la sauvegarde de la vie de ses habitants, aux lieux et réseaux de solidarité et d’entraide, à la qualité d'échange et de proximité des habitants, au dynamisme de la vie locale et aux valeurs d’accueil envers populations venues de l’extérieur. Dans ces conditions, Lisbonne déploie d’indiscutables atouts, sa proximité avec l’océan, la douceur de l’immense baie du Tage protégée par des vents atlantiques, des habitations de petites tailles favorisant la sociabilité, ses clubs et associations sportives et récréatives ciments du lien social, une faiblesse économique compensée par l’entraide des familles, l’accueil et la générosité envers l’extérieur, ses espaces verts. Des qualités uniques favorisées par la disposition géographique de chaque colline/village du centre-ville, ont apporté à Lisbonne sa grande originalité. 

Le tourisme, virage économique et changement de nature de la ville.

Les changements que connait Lisbonne, au même titre que d'autres grandes capitales d'Europe méritent néanmoins d'être nuancés par la spécificité suivante. Lisbonne est sans doute la dernière capitale d'europe de l'ouest à avoir connu un engouement touristique, d’où son apparente préservation. Cela car elle a été de nombreuses années occultée, oubliée, délaissée par le grand public. Les quelques façades délabrées qui surprennent encore les voyageurs étaient la norme il y a encore 5 années en arrière. 

Mais voilà qu'elle rattrape largement son retard: en 2017 le Portugal devient la meilleure destination mondiale aux "oscars" du Tourisme décernés par le World Travel Award, la même année, Lisbonne devient la Meilleure destination d'Europe ainsi que le meilleur port de croisière, recevant ainsi 517 milles passagers de croisière. Le chiffre des seuls croisiéristes est surprenant lorsqu'on sait que la population du centre-ville a été réduite d’1 million à 500 000 milles habitants en 15 ans. Les raisons de la hausse des prix de l’immobilier étant multiples, une conjonction de la multiplication des logements à la journée, de l'engouement des retraités européens pour l’exemption fiscale pendant dix ans, ainsi que les lois concernant les Golden Visa, donnant accès à la libre circulation sur l'espace Schengen après l’acquisition d'un certain type de bien immobilier. 

Comment visiter, vivre et travailler dans l'économie dominante de tout en restant en phase avec les nouveaux enjeux environnementaux ?

Nous ne pouvons en aucun cas jeter uniquement la responsabilité sur une activité pour laquelle nous, et de nombreux lisboètes, dépendons économiquement mais nous nous interrogeons sur l'ampleur du phénomène. Cette affluence de visiteurs revêt deux formes bien distinctes. 

La première étant une démarche personnelle, celle du voyageur, de l'aventurier, soucieux des valeurs d'échange, de partage, curieux de connaître sans que l'environnement extérieur change pour et par lui. Celui même qui tient à se faire discret, presque oublier, et à s'imprégner des singularités d'une culture qu'il désire, par l'effort, comprendre dans le but de s'enrichir intérieurement. 

Le deuxième est le tourisme de masse, qui choisit la détente en groupe transformant sur son passage les infrastructures, établissant une homogénéité à la hausse des prix, réduisant la complexité de la ville à quelques quartiers et attractions touristiques, simplifiant la richesse de la langue par des codes de communication simplifiés. 

Au premier type correspond davantage le choix d'une démarche sensible, l'enrichissement mutuel et la découverte réciproque d’un monde inconnu. Le second répondant aux modes et déterminants économiques, privilégiant les distractions visuelles, apportant un bénéfice souvent unilatéral, une imposition de normes confortables, conduisant davantage à la séparation de la ville avec celui-ci. 

Dans le premiers cas c'est l'environnement de la ville qui s'immisce et enrichi l'individu, dans le second c'est un groupe qui procède à une torsion brutale de l'environnement, provoquant la dépossession de la ville des mains des habitants et leur hostilité à son égard. 

Une détérioration de l’environnement de la ville ces 10 dernières années.

Le constat des atteintes à l’environnement, corrélatifs au plan de sauvetage de l’économie portugaise par FMI est cependant alarmant. Les chiffres concernant les pollutions provoquées par le tourisme de masse sont régulièrement décriés par les collectifs d'habitants : les pollutions sonores (des festivités des croisiéristes, moteurs de bus et de tucktucks, tapage nocturne), visuelles (trottinettes, vélos et scooters électriques), de l'air (dioxyde de souffre des bateaux de croisière multipliant par 10 les risques respiratoires comparés à ceux du parc automobile de la ville) et de l'eau (déchets et disparition de grands nombres de poissons et dauphins du Tage). 

Le cas également des logements à la journée Airbnb dont la concentration est plus importante à Lisbonne, qu'à Paris, Londres ou encore à Rome, le centre-ville beaucoup plus petit ayant contribué à éliminer plus de la moitié des habitants de certains quartiers ainsi que leur commerce. Concernant les logements encore, une vague d'expulsion massive a touché de nombreux habitants, comme celle autorisant l'augmentation des loyers lors de l'acquisition d'un bien immobilier par un nouveau propriétaire. Ce phénomène a été très important, malgré une loi récente sur la sauvegarde des personnes âgées ayant plus de 65 ans vivant depuis plus de 15 ans dans leur appartement (Lire Article). 

Face à la faiblesse de la société civile morcelée, la légèreté avec laquelle gouvernement portugais laisse libre cours aux rejets des fumées toxiques des bâteaux de croisière devant les écoles du quartier d'Alfama consterne les observateurs des directives européennes sur l’environnement. 

La limitation de la taille des groupes dans les quartiers populaires aux ruelles étroites, ainsi que le système fermé de commission pratiquée par les bateaux de croisières, sont des questionnements qui sont loin de prendre la tournure des lois depuis longtemps votées dans des villes aux problèmes similaires comme à Barcelone. 

Enfin face au défi démographique urgent, une faible natalité (1,2 enfants par femme) et l’échec d’adhésion des jeunes au programme « regresso » prévoyant d’inciter les jeunes émigrés portugais de 2011 à retour au pays moyennant des facilités fiscales, on voit s’affaiblir l’espoir de la consolidation du lien social ou la pérennité du système de retraite. 

Le droit de l’environnement protège et condamne le tourisme.

Laissons parler le droit en faisant un détour par les grandes conventions internationales afin de savoir comment nous (et vous) positionner face à cette question parfois délicate:

- La Déclaration de La Haye de 1989 sur le tourisme évoque que celui-ci peut contribuer à une perte de diversité biologique, à une destruction de la couche d’ozone et à des changements climatiques. Cette déclaration reconnaît que le tourisme est devenu un phénomène de la vie quotidienne pour des millions de personnes et qu’il constitue une activité essentielle à la vie des êtres humains et de la société moderne. De plus, le tourisme peut être un instrument efficace de croissance socio-économique pour tous les pays, mais il nécessite qu’on développe une infrastructure adaptée et qu’on tienne compte avec prudence de l’état général de l’environnement naturel, physique et culturel de la destination touristique (principe 2). En particulier, un environnement sain sur les plans naturel, culturel et humain est une condition essentielle au développement du tourisme (principe 3). A cette fin, la Déclaration s’efforce de prendre des mesures efficaces pour informer et éduquer les touristes à respecter l’environnement et pour favoriser le développement durable.

- Dans la Déclaration de Manille sur l’impact social du tourisme, adoptée aux Philippines en mai 1997, les représentants des gouvernements de soixante-dix-sept pays se sont engagés à atteindre dix objectifs visant à maximiser les aspects positifs et à minimiser les effets négatifs du tourisme. Les objectifs de cette déclaration sont d’améliorer le niveau de vie des gens grâce au tourisme tout en veillant à ce que le développement du tourisme préserve l’héritage, le patrimoine et l’intégrité des destinations touristiques, en particulier les normes sociales et culturelles des communautés indigènes, et tienne compte des coûts environnementaux du tourisme. Le dixième objectif incite à travailler à la mise au point et à l’adoption éventuelle d’un Code global d’éthique touristique.  

- enfin le 1er octobre 1999 l’Organisation mondiale du tourisme a mis au point le Code mondial d’éthique touristique à Santiago du Chili. Le code opère d’après la croyance selon laquelle le tourisme contribue à une compréhension et un respect mutuels entre les peuples, et qu’il existe un droit universel au tourisme en tant que patrimoine commun de l’humanité. De plus, le code estime que tous les détenteurs d’enjeux en matière de développement du tourisme devraient sauvegarder l’environnement naturel pour les générations présentes et futures en protégeant le patrimoine naturel que constituent les écosystèmes et la biodiversité, en préservant les espèces sauvages menacées, en économisant les ressources rares et précieuses et en respectant le patrimoine artistique, archéologique et culturel. Les méthodes proposées pour atteindre ces objectifs comprennent l’échelonnement dans le temps et dans l’espace des flux de touristes et de visiteurs, et l’utilisation des ressources financières provenant des visites des sites et des monuments culturels pour entretenir, sauvegarder, développer et embellir ce patrimoine.  

Conclusion sur notre positionnement face au tourisme et à l’environnement.

Le prix payé par l’environnement pour parvenir au miracle portugais laisse un goût d’amertume. Malgré leur ambiguïté, les deux concepts de tourisme et d'environnement peuvent trouver un terrain d’entente selon certaines conditions. Le tableau de l’état actuel du pays est  préoccupant, en plus de nous éloigner de la charte éthique des grandes conventions relatives au mariage compatible entre le tourisme et l'environnement, on assiste à une véritable dérogation aux règles de droit des populations vulnérables, car elles sont victimes de ces altérations alors qu’elles devraient en être bénéficiaires. 

Habitant Lisbonne depuis plusieurs décennies, nous pouvons témoigner de l’affront porté à l'environnement dans la ville de Lisbonne. Cette question de la préservation est, d'autant plus cruciale, que d'elle dépend toute la survie de l'économie du pays. N’étais-ce pas la beauté de cet environnement qui fait venir toujours plus de visiteur chaque année ? Une beauté davantage liée au comportement et aux coutumes des habitants qu’à l’audace de son architecture. Même si cet environnement est aujourd’hui menacé, nous pensons cependant qu'il existe par le biais de politiques adaptées ainsi que par le comportement responsable de chacun, une manière de mettre en valeur les habitants et l'atmosphère générale de la ville. 

Portés par cette vision éthique, nous croyons à la possibilité d'un tourisme durable grâce à la souscription des prestataires de projets ainsi que des visiteurs aux valeurs éthiques soutenues au sein de ces conventions précédemment évoquées. Cette vision privilégiant des visites à pied, en nombre limité de personnes par groupe, la non pratique des commissions, l'écoute de l'espace sonore naturel de la ville, un effort de compréhension de l'histoire et de la culture, et privilégier, autant que faire se peut, l'utilisation de la langue locale, les enseignes familiales plutôt que les grandes chaînes, la proximité avec les artisans et habitants, en vue de la pérennité de la personnalité singulière de la ville que nous aimons autant que voudrions que vous la protégiez.

Lisbonne Mémoires
A.L.